Toute nouvelle pratique – et de surcroît, radicalement divergente – apporte son lot d’enjeux.
Courir en chaussures minimalistes n’est pas une variante mais bel et bien une nouvelle façon d’appréhender la discipline. Alors que je monte en charge progressivement, j’en prends conscience. 1 heure 30. 2 heures. 2 heures 30. Mes sorties restent fort modestes au regard de ce que j’ai pu courir par le passé. Si je violente la machine, la fatigue me cueille au virage comme une bourrasque assomme les feuilles mortes. Les lendemains d’euphorie sont douloureux. Au retour d’un entraînement, après avoir laissé libre cours à mon envie de sensations et galopé comme un jeune chiot, me voilà endormi sur ma terrasse en plein jour, harassé. Et je me surprends parfois à lorgner sur mes trail Salomon en rêvant 5 heures, 7 heures, 15 heures.
Mais voilà.
Le point de non-retour serait-il atteint ?
Car enfin, si je les enfile, ces anciennes chaussures auxquelles j’ai ponctuellement donné quelques heures de gloire (toute relative) par le passé, si pour marcher jusqu’à l’école j’apprécie leur confort, si pour pédaler ou effectuer mes entraînements de trial je loue leur stabilité et leur assise autant que leur caractère protecteur, il me faut l’avouer : je n’ai plus du tout envie de courir avec. A peine la première foulée esquissée que le sentiment laborieux de traîner un poids mort m’envahit. On m’a mis les fers.
Je n’exagère pas. Les minimalistes* m’ont donné accès à un royaume de liberté, de légèreté, telles que je n’envisage déjà plus de faire machine arrière.
Le constat s’est fait peu à peu dans mon esprit : je préfère désormais, cela est sûr, courir moins mais courir mieux. Lorsque l’aube active la guirlande dorée des crêts de Chartreuse, ce spectacle matinal dont je jouis depuis mon salon chaque jour que Nature fait, j’ai toujours autant envie de partir explorer ces montagnes chères à mon cœur – en courant. Je pourrais attraper mes anciennes chaussures et y être 3 ou 4 heures plus tard, foulant la croûte de neige.
En réalité, je savoure l’attente nouvelle. Je me suis ré-inventé un objectif, et c’est comme à Noël : la progression, lente et bienheureuse, ma douce (re)montée en puissance dans cette nouvelle et révolutionnaire course minimaliste, devient un plaisir aussi vif que le but lui-même qu’elle me donne à atteindre. J’ai trouvé chaussures à mon pied, celles de la sobriété heureuse que je prône si volontiers : courir loin ? un jour, peut-être, sans doute, mais pour l’heure, courir bien.
Je n’irai donc pas courir 6 ou 8 heures aujourd’hui encore. C’est un fait. La course minimaliste implique une réelle (re)programmation de la machine corporelle, et ne nous voilons pas la face, la longue distance et la longue durée sont des Graal qui faut savoir convoiter de loin, humblement. Mais avec résolution. Comme dans la scène mémorable de “Wayne’s World” : Oh oui, un jour elle sera mienne…
Je regarde mes sommets alpins, hier si facilement accessibles, aujourd’hui redevenus lointains rivages, pour un temps. Pour un temps. Et je me propose d’y gambader au départ de chez moi quand le printemps sera venu. J’ai tout un hiver pour apprendre à courir.
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* mes chaussures ont été fournies par 5Doigts2Pieds.fr
Initialement publié le / Originally posted on 3 décembre 2015 @ 8:10 am