Nous voilà en route vers la normale.
Ou bien est-ce le retour à l’anormale ? Je ne sais plus. Enfin, si… je crois que je ne le sais que trop.
Car enfin, sans me réjouir – bien au contraire – de cette situation de crise qui a plongé le monde dans l’effroi ; sans oublier un instant les populations touchées ; sans négliger la souffrance ni les morts, qui ne peuvent se réduire à des chiffres, aussi modestes soient-ils, je ne peux que l’avouer : du haut de ma petite colline, dans ma douce maison de bois, ce confinement, je l’ai savouré.
Pleinement savouré.
J’ai goûté le calme, joui du silence. Dans les rués désertées de la ville proche, où je m’aventurais, parfois, quand même, j’ai reçu la quiétude et la paix comme une bénédiction. Un rappel bienvenu du rythme spontané qui doit être le mien. Le nôtre ?
Et lorsque le hasard me faisait croiser un concitoyen téméraire, comme j’ai apprécié nos sourires timides mais solidaires ! Comme nos saluts fraternels, qui taisaient sans finalement la masquer, malgré le port de l’accessoire, une évidente complicité, m’ont été une douche de bienfaisance ! Le faciès à demi voilé, nous avons appris à nous sourire des yeux et placions dans les regards une intensité nouvelle.
Et même, au comble de l’audace, j’ai accueilli avec gratitude nos brefs échanges plein d’une sollicitude qu’il ne serait venu à l’esprit de personne de questionner ou méjuger. J’en suis reparti reconnaissant et le cœur empli d’une profonde humanité, la mienne, la nôtre, qui ne m’avait jamais quitté, mais qui trouvait là soudain un digne répondant, sobre et simple. Évident.
Pleinement présent à la vie domestique, j’ai pu officié comme maître d’école improvisé pour mes deux filles, satisfaisant là une envie aussi âgée qu’elles que toujours j’avais mise de coté. M’enorgueillissant – à tort ou à raison, elles le diront mieux que moi – de pouvoir leur dispenser l’enseignement nécessaire tout en respectant tout à fait leur rythme physiologique par des heures de levé naturelles, des repas motivés par l’unique faim, en ménageant de gourmands après-midi de jeux et de trouvailles et de fête et de repos – cet exercice scolaire ayant été permis, je ne m’en cache surtout pas, par l’exemplarité de nos maîtres et maîtresses, qui ont sans faillir fourni quotidiennement les supports et la guidance requis, qu’ils soient ici et à nouveau chaleureusement remercié(e)s.
Comme un entonnoir ou un prisme, le confinement nous a ramené à notre intériorité et dirigé notre regard vers l’essentiel avec un grand point d’interrogation. Qu’est-ce qui compte vraiment pour moi ? qu’est-ce qui compte le plus ? C’était là et pour toutes et tous une occasion dorée de convertir la quantité en qualité et de s’affranchir du temps. De s’adonner à notre unique mission véritable, vivre et vivre bien. A son rythme.
Non seulement le soleil est essentiel à la vie sur Terre, mais il contrôle également le rythme auquel se déroule cette vie. Tous les êtres vivants, qu’il s’agisse de bactéries, de végétaux ou d’animaux, ont évolué de façon à coordonner leurs activités avec le cycle jour-nuit associé à la rotation de la Terre. Ces « rythmes circadiens » (du latin circa, autour et diem, jour) permettent de synchroniser les fonctions physiologiques avec un moment précis de la journée : la floraison des plantes, la migration des oiseaux et des papillons, ou encore certaines fonctions physiologiques comme la sécrétion de diverses hormones sont tous des exemples de phénomènes qui dépendent de rythmes circadiens propres à chaque espèce vivante. Cette horloge biologique qui existe à l’intérieur de chaque cellule représente donc un mécanisme fondamental de la vie sur Terre, précieusement conservé pendant les milliards d’années de son évolution.
(…)
Chez les humains, un des effets les mieux documentés de la perturbation du cycle jour-nuit est son impact sur la glycémie. Pendant la nuit, lorsqu’aucun aliment n’est consommé, le foie fabrique du glucose et le sécrète dans la circulation, tandis que durant la journée, ce système est réduit au silence en raison des quantités suffisantes de sucre provenant de la nourriture. Grâce à un système sophistiqué de gènes régulateurs qui s’expriment selon une chorégraphie très élégante, l’horloge biologique permet donc au corps de contrôler de façon tout à fait autonome le taux de sucre sanguin. Par contre, lorsque le cycle éveil-sommeil est perturbé, ce système devient inefficace et les fluctuations de la glycémie qui en résultent peuvent avec le temps affecter la production d’insuline et mener au diabète de type 2.
Ce que j’aime dans l’étude des rythmes circadiens, c’est la leçon d’humilité qu’elle prodigue. En général, rien ne m’impressionne tant que la beauté d’une femme ou celle d’un paysage immense, deux contemplations dans lesquelles je me confronte à ma petitesse et qui m’intiment un silence respectueux et reconnaissant. Quand on y pense, toutes les cellules vivantes sont soumises à ce même métronome immuable, chacune à sa façon. Appréhender ce genre de vérité simple me donne un sentiment d’appartenance. J’appartiens à cet organisme magnifiquement maladroit qu’est la société des humains, laquelle, plongée dans un organisme plus vaste et puissant encore, la Nature, s’est unie pour faire face à une crise pandémique majeure. J’appartiens au vivant et en admettant les lois simples et fortes de cette Nature j’y trouve ma juste place. Hey oui, moi l’électron libre, l’empêcheur de tourner en rond et le raboteur de coins carrés, je me nourris tout autant de ma profonde liberté que de ma profonde humanité.
La leçon de la cellule est peut-être que la sagesse se trouve dans l’infiniment petit, non pas celui qu’on observe du haut de notre supériorité auto-proclamée, mais celui que l’on sait incarner au sein de l’infiniment grand. Comme pour le nombre de Platon, peut-être. Ce nombre auquel le philosophe fait référence dans son dialogue – La République – mais dont la signification, au gré des millénaires et des traductions, nous échappe désormais. Platon semblait définir là un nombre référence qui régit les lois maritales et celles de la procréation. Une valeur mathématiques absolue devenue énigmatique, au-delà de laquelle on ne saurait plus gérer convenablement les choses. Cela me parle. L’individu que je suis n’est pas apte ni programmé pour gérer des liens sociaux démultipliés, pléthoriques, en quantité si disproportionnée à mon entendement que s’engouffre l’anonymat et se perd la conscience ou la connexion ; l’individu que je suis aspire à cultiver la profondeur et la chaleur comme la richesse des quelques relations qu’il entretient. Du vrai !
Ah ! La république…
Pendant ces longues et riches journées de confinement, j’ai vu passer une cohorte de débats sur le bien-fondé des mesures ; sur l’avenir de la société entre réforme et révolution ; sur la justesse des discours des uns et des autres. Intellectuellement, c’eût été là matière à débats fort stimulants qui m’interpellent. Beaucoup. Ce n’est pas par manque d’énergie que je m’en suis tenu assez loin. Mais par manque d’envie. Le quotidien me suffisait. Il me comblait. Chérir ma famille, prendre soin de nous et de notre santé [1] [2] [3] [4], partager, bien nous nourrir, aimer, respirer, embrasser et câliner, remercier. Être là, présent, vivant.
[à voir] Vidéo sur le système immunitaire
[à lire] Article sur le minimalisme quotidien et domestique et la décroissance
[à lire] Pensées sur la gouvernance
A quoi ressemblerait ce monde façonné par la voracité de l’homme, si nous tous, les humanoïdes associés, avions pour objectif ultime dans la vie d’Être, ici et maintenant ? Pas de faire, pas non plus d’avoir, ou juste ce qu’il faut. Être.
L’économie, la sacro-sainte économie se meurt car tous autant que nous sommes, depuis le début du confinement, nous ne nous sommes procuré… que ce qui nous est véritablement nécessaire.
Je médite là-dessus.
Je regarde le ciel investi de nouveau, par les hélicoptères et les avions. J’écoute le brouhaha de la départementale que le trafic assaille déjà, elle qui auparavant ne résonnait que de l’écho de mes pas.
Je me demande pourquoi cette humanité poursuit sans cesse le quantitatif et néglige le qualitatif. Est-ce juste pour nous, modestes descendants de l’Homo Sapiens, une façon naïve de nous détourner des questions véritables ? C’est bien volontiers que nous nous asservissons à la déesse Économie. Mais au départ, qu’est-ce donc que l’économie, si ce n’est un système de notre invention censé nous aider à gérer nos vies ? Cette déité à laquelle nous vouons une si courte et si précieuse existence n’est qu’un paradigme, une création, et donc… une chimère.
Le mot économie vient du grec οἰκονομία / oikonomía, il désigne étymologiquement « l’administration de la maison » (de oikos, maison, et nomos, gérer, administrer). Wikipedia nous dit : “Activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services.” Je n’y retrouve pas ma mission de vie. Laquelle est d’être bien. D’être bien, ici et maintenant. Sans négociation ni procrastination. La seule urgence de la vie, c’est le bonheur. Contrairement à Godot, je ne l’attends pas. Je le provoque, le savoure et le cultive.
Me revient une anecdote, si l’on peut la qualifier ainsi… Pendant le tournage de La Marche Sans Faim, mon protagoniste Florian Gomet et moi-même avons pu observer, puisque c’était là notre fil conducteur topographique, les ruines d’un gigantesque pipeline édifié à la hâte dans les années 40 pour acheminer du pétrole depuis les territoires nord-canadiens vers la côte pacifique.
L’ouvrage est tout autant gigantesque que sa vacuité : jugez-en donc, il n’a pas été utilisé une seule fois… l’armée américaine engagea 60 000 ouvriers et 300 000 $ de l’époque dans une construction pharaonique inutile. Son usage fut aussi bref – du pétrole ne coula dans le pipeline qu’à l’occasion d’une poignée de tests – que sa macabre longévité qui défigure les monts Mackenzie. C’est pour moi le visage de l’économie : détruire pour produire.
Pas de pipeline pharaonique vers la possession ou la consommation pour moi. Non, merci. Je pense, je souhaite, j’affirme ! que je favoriserai toujours la qualité et négligerai la quantité. C’est heureux, car autrement le confinement aurait pu être un péril d’isolement, ce que, je n’en doute pas, ont vécu nombre de mes concitoyens que je plains sincèrement. Si l’on en croit la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (01/2016, vol.113 no.3), la taille du réseau social d’une personne est importante pour la santé, à l’âge précoce comme tardif. Pour l’adulte, ce nombre de liens sociaux n’est pas tant crucial ; ce serait plutôt la qualité des connexions qui compterait – encore et toujours la primauté de la qualité sur la quantité…
On peut visionner à ce sujet la brève et captivante vidéo de Robert Waldinger. Ce directeur d’une étude, qui dura 75 ans, sur le développement adulte, a recueilli des données sans précédent sur le bonheur et la satisfaction. Il partage dans la vidéo trois importantes leçons sur la façon de se construire une vie longue et épanouissante.
Oui, la vie est trop courte pour être petite, disait Benjamin Disraeli. Je crois que ma filmographie et mes “états de service” montrent bien à quel point j’ai embrassé cette philosophie !
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Et je me félicite, en toute immodestie, de ne faire que ce en quoi je crois et de n’être que moi-même.
Car le poète le sait bien, “Simple is beautiful”.
Me baigner sous la pluie dans le torrent.
Méditer sur le toit de ma maison au soleil.
Admirer ma femme qui traverse la maison nue.
Observer la mésange se poser sur le fil de la voile d’ombrage alors que je déjeûne sur ma terrasse.
Croquer dans une mangue très mûre.
Alors je sens battre en moi la vie et cette résolution farouche, vibrante, de ne pas revenir à l’anormale. De ne pas alimenter cette course folle vers nulle part, par mes actes de consommateurs ou mes choix de travailleur – pas plus maintenant qu’avant, et très certainement moins ! Je chéris le souvenir du confinement, déjà troublé par la reprise frénétique de l’activité. Je fais le vœu de garder ma juste place et de toujours m’éveiller plus, m’informer plus, m’aguerrir plus pour cerner les gestes, les choix, les attitudes justes qui n’abondent pas dans le sens de cette folie aveugle des hommes. Je ne sais pas bien dire exactement où je me situe, mais je vois très bien la direction à (continuer de) prendre.
Et réfléchissez bien.
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Initialement publié le / Originally posted on 15 mai 2020 @ 5:01 pm