Mes “Pourquoi” du jeudi : voyages & films

Environ une fois par mois, je prends le temps de répondre aux “pourquoi” qu’on m’adresse – ce sont pour une part non négligeable des interrogations de mes enfants, mais aussi des proches, abonnés, copains… Car je suis comme les gamins, je ne laisse pas de question sans réponse, et j’aime la transparence autant que la curiosité intellectuelle. Petites explications pour grandes questions, c’est ma rubrique des “Pourquoi du jeudi” 🙂

“Pourquoi voyages-tu ?”

Ma fille a un jour posé son regard de velours sur moi et m’a interrogé de la sorte. Et vous me la posez parfois, cette question, ami(e)s lecteurs/trices. N’est-ce pas, finalement, le socle sur lequel j’ai construit ces 10 années de Planète.D ? Je ne peux que prendre le temps, parfois, de m’y attarder, de bien analyser mes motifs, mes besoins, et mes envies. J’ai pris ma fille sur mes genoux et je lui ai répondu.

Car c’est cocasse, je trouve, de voir comme les plus simples questions appellent souvent aux plus profondes réflexions.
Ce n’est pas anodin pour moi, finalement, de m’interroger : cela fait désormais 10 années que je pratique le voyage comme un art de vivre autant que comme une activité professionnelle à travers mes films ; voilà beaucoup plus longtemps encore que je vadrouille régulièrement. J’ai érigé ma modeste pratique de la “baroude” en philosophie, presque, d’une certaine façon, et j’en ai donc même fait un travail, un gagne-pain. On comprendra que la question ne soit finalement pas si aisée à traiter. Parfois, lorsqu’on vise une cible depuis si longtemps, on ne la voit plus. Elle fait partie du décor.

Mais, “long story short”, comme disent les Anglais, je crois avoir aujourd’hui un peu de recul pour aller à l’essentiel.

Je voyage pour me sentir vraiment vivant.

Pour la même raison, je pratique différents sports de plein air – trail et vtt, ski, grimpe… Ils relèvent d’un équilibre physico-émotionnel assez primaire, celui de l’animal intelligent que je suis et qui admet une approche globale du bien-être. Bouger, penser, aimer.

Et c’est cette combinaison qui fait que je réalise mes voyages selon des moyens doux et sportifs à la fois. Simple cohérence.

Oui, je voyage, je cours, je skie et je pédale parce que ces pratiques m’offrent les moments de ma vie où je me sens formidablement, pleinement connecté à mon environnement, mes semblables, mon corps.

J’inclus “mes semblables” dans l’équation, évidemment. Le plus beau cadeau que le voyage m’ait offert, c’est vous. Partout où j’ai eu le privilège de traîner mes semelles ou mes pneus, j’ai reçu un accueil beau comme un feu de joie. Il y a les rencontres fortuites, il y a les réseaux d’hospitalité, il y a tout autant les partenaires et sponsors qui soutiennent mes films depuis la France ou d’autres contrées et deviennent rapidement de bons copains : nos échanges, leurs confiance, leurs convictions, soufflent dans mes voiles le vent de l’accomplissement.

Le nomadisme accélère le temps mais le densifie

Pendant notre premier périple a long cours, lorsque Delphine et moi avons pédalé à tandem 2 années et demi durant autour du monde, j’ai pris conscience de cet apparent paradoxe : le nomadisme accélère le temps mais le densifie. En d’autres termes, les jours, les mois, les années passent diablement vite, mais vous laissent enrichis, remplis, reconnaissants et bienheureusement fatigués, de cette fatigue qui procure à la fois délassement et contentement, même si elle confine parfois à l’épuisement.

Tout récemment, alors que je parcourais la Canol Trail au Canada pour réaliser La Marche Sans Faim, à fatbike, mes journées étaient autant de petits tours de force – jusqu’à 13 heures de pédalage+tournage, avec traversées de rivières, averses et dénivelé – et je mangeais très peu (environ 250 grammes par jour de nourriture séchée, végétale et crue). Mes sensations étaient les meilleures… Comme d’atteindre à la quintessence du fonctionnement de mon métabolisme. Une forme de pureté active, d’intensité corporelle, qui me laissait ivre de bien-être le soir.

Pour sûr, cela ne laisse pas indemne. Ce n’est pas qu’il y a un prix à payer ou un revers à la médaille. Je crois plutôt que cet accomplissement va de paire avec une dépense de soi dont l’intensité nous fait frôler un point de rupture. Une expérience, pour ainsi dire, transcendantale. Et finalement, je me dis qu’on se le doit bien à nous-mêmes, de vivre si fort !

Sans doute ai-je développé au fond de moi la conviction que ma vie prend son sens dans un mouvement, perpétuel mais à temps partiel, qui me relie à mon être, mon âme, et ceux de toutes les personnes qui jalonnent immanquablement ma route. Je dis temps partiel car je ne voyage pas sans cesse, et suis heureux d’atterrir chez moi, de retrouver le lien social, familial, amical sur lequel se fonde ma confiance dans la vie. Et quand cela se produit, je me révèle fort casanier…

Mais les départs me grisent, l’aube encore neuve et le frisson de la découverte mettent mon cœur en joie. J’ai toujours hâte de retrouver le bonheur simple du dépouillement et de l’allant. Les meilleurs moments de ma vie, je crois, tiennent dans un modeste baluchon.

C’est ce que je dis, d’ailleurs, au mot près, dans un de mes films, “Un Pas De Côté“. Il s’agit d’un petit projet d’exploration locale, le premier épisode d’une série que je vais consacrer à notre chouette pays. L’idée était simple : partir de chez moi avec pour seul locomotion mes grandes “guibolles”, rester dans un périmètre de proximité, et dans un laps de temps imparti, court, m’inventer une aventure. Avec mon copain Doc’, ultra-traileur émérite et orienteur aguerri, nous nous sommes donné 4 jours pour traverser la Chartreuse en courant du nord au sud. Un seul mot d’ordre : pas de sentiers balisés, pas de réseaux conventionnels de circulation ; du sauvage, du franchissement, de l’orientation. Pour aller voir s’il est possible de redonner un sens au mot “exploration” tout en restant “à la maison”. Et nous n’avons pas été déçus… il en ressort que la démarche est polémique et le terrain sensible, et nous avons voulu apporter notre petite contribution à la réflexion avec tout le tact et la sagesse possible.

Le film est disponible en vidéo à la demande sur Internet, et en DVD, accompagné d’un autre sur le même thème, “Jor“, réalisé avec mon camarade Virgile Charlot, qui voulait traverser à ski de randonnée nordique son beau territoire jurassien pour y collectionner les portraits les plus atypiques et puissants. Nous y avons glané un sacré galerie de personnages.

Cette envie d’aventure de proximité était également à la racine d’un autre projet dont le film est sorti à la toute fin 2013.

Le projet “Autarcies“

Avec Delfe, mon amoureuse d’alors, nos deux filles Luce et Lirio, et moi-même, nous vivions dans les Alpes, en habitat groupé. Il s’agit de constituer un groupe de personnes animées par les mêmes valeurs – de vie collective, de développement durable, de partage d’espaces, de ressources et de services – et de construire ensemble une grande maison commune pour y habiter tous ensemble. En clair, le résultat est une belle bâtisse bioclimatique solaire passive en bois-béton, bigarrée à l’image de ses occupants, dans laquelle chaque famille ou foyer a son propre appartement indépendant mais où nous partageons de nombreux aménagements (potager, garage, laverie, atelier, cuisine et salle à manger collective, rangements, télécommunication…). Cela revient à monter une copropriété avec ses copains et y vivre tous ensemble – autant vous dire que la chaleur humaine, les échanges, les prises de tête, rarement, et les rires, beaucoup, sont au rendez-vous.

Et bien dans cette double démarche de vie collective et d’aventure de proximité, nous avions voulu, en famille, aller parcourir sur notre tandem l’Espagne et ses montagnes pour rendre visites à des éco-villages. Pendant quelques mois, avec notre seconde fille Luce, qui avait 6 mois au départ, dans la remorque derrière le tandem, et notre aînée Lirio, âgée de 3 ans et demi, tantôt aux côtés de sa petite sœur, tantôt sur son propre vélo tracté derrière, nous avons vadrouillé de village communautaire en village communautaire, pour recueillir des témoignages, rarement d’échec ou de difficulté, presque toujours de réussite et de bonheur ; nous voulions nous en inspirer pour notre propre vie collective.

Ce petit périple a été riche, si riche en émotions et rencontres, que nous en revînmes comblés, et remplis, comme je le décrivais plus haut. Remplis par ces partages sans façon, cette générosité dont nous faisons l’objet en tant que vagabonds, par ces personnages lumineux que le chemin nous amène à rencontrer et qui montrent une autre voie, un autre possible.

Nous en revînmes, aussi, il faut bien le dire, épuisés… Car s’il est désormais établi à mes yeux que oui, l’aventure se trouve au détour du chemin, même à côté de chez soi, il ne fut pas anodin de pédaler un bon millier de kilomètre par monts et par vaux, avec une petite fille qui nous réveillait encore 4 à 5 fois par nuit… Mais ça, c’est une autre histoire.

Histoire…

Voilà d’ailleurs la réponse à la seconde question de mes enfants, qui elle aussi fait écho à vos interrogations.

“Pourquoi fais-tu des films ?”

Faire des films, ça me met en joie.

Je pourrais, là aussi, longuement développer mon amour de l’image, mon envie toujours renouvelée de transmettre les émotions qui jalonnent nos cheminements, et ces rencontres que j’ai déjà citées plusieurs fois ; je pourrais expliquer combien nous aimons, avec mes petites “amoureuses”, nous mettre en scène devant la caméra et faire rire notre public, mais le plus simple, le plus évident, tient dans ce mot : j’aime raconter de belles histoires.

De belles et authentiques histoires. J’aime ramener à un auditoire les bonnes nouvelles du monde.

Et si je peux vous vendre un DVD au passage pour gagner ma croûte je n’y rechigne pas 🙂

Je crois que c’est ce que nous faisions, encore une fois, dans ce film, “Autarcies“. Ce que je fais chaque fois que je fabrique un de mes modestes “œuvres” – Adaptogènes, Tuani, La Marche Sans Faim…

Après la traversée de l’Islande à la recherche de la Reine des Elfes, alors que notre fille Lirio avait 9 mois – un film appelé “No Man Iceland” – nous avons exploré cette Espagne rurale et farouche et nous avons tâché d’en ramener l’essence de ces modes de vie alternatifs, humains et durables qui y poussent sans bruit, loin des fracas citadins, lentement mais sûrement.

Car je pense résolument que demain doit être collectif. Alors moi, je m’y mets dès aujourd’hui. Et j’ai même commencé hier…

Je réalise à me relire que ces simples questions, “pourquoi voyages-tu ?” et “pourquoi fais-tu des films ?”, m’amènent tout naturellement à faire la synthèse de ce que Planète.D est devenu, depuis 2006, alors que ce n’était qu’un nom lancé au hasard pour nous donner une identité alors que nous partions embrasser le monde, Delphine et moi. Le temps a passé. Delphine a choisi une voie qui s’est séparée de la mienne, je vadrouille désormais seul, ou avec mes enfants ; une Petite Elfe est apparue dans notre vie l’an passé et voilà que nous cheminons de concert pour mon plus grand bonheur.

Aujourd’hui, il y a derrière, partout, autour de nous, les valeurs sur lesquelles je fonde ma vie au quotidien : du partage et de l’échange ; un développement durable et un déplacement propre, doux ; placer l’humain et la nature au centre des préoccupations ; se faire vecteur des belles histoires de notre société ; et au passage, ne pas s’épargner une bonne suée ni une bonne rigolade. Nous sommes loin de la perfection, elle est comme l’arc-en-ciel qu’on atteint pas. Mais qu’on ne quitte jamais des yeux, faisant cap vers un idéal aux multiples couleurs.

J’espère que si vous venez faire un tour sur la Planète.D, vous y trouverez un concentré de tout cela.

Et surtout, surtout… soyez heureux. Cela au moins n’est pas négociable.

Damien

Initialement publié le / Originally posted on 11 octobre 2018 @ 7:45 pm