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Pourquoi la télévision boude-t-elle “La Marche Sans Faim” ?

A vrai dire, je l’ignore. Je n’écris pas ce billet pour épancher mon amertume – si je suis déçu, je ne suis point amer. Sans réelle ambition ni rêve de gloire, je n’ai pour but dans la vie que d’être heureux, avec ma famille, mes amis et la nature. En revanche, la véracité (ou la vérité), la transparence et la justice sont des notions fondamentales et incontournables pour moi. Des notions puissantes et capitales. Recevant régulièrement des commentaires de cet acabit : “Ton film est formidable, mais comment se fait-il qu’on ne voit jamais ça en télé ?”, j’estime que mon petit mais fidèle public mérite de connaître les tenants et les aboutissants de cette industrie. Comme moi, pensé-je, il aime comprendre.

article sur La Marche Sans Faim dans le magazine Carnets d’Aventure

Voilà donc des pistes d’explications sur le fait que “La Marche Sans Faim” – comme beaucoup de mes films – suscite un enthousiasme avéré auprès du public tout en étant l’objet d’un blocage tout aussi établi auprès des gens de télé. Hélas ! Trois fois hélas… c’est l’histoire (à peu près assumée) de ma vie de réalisateur.

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Ce qui suit est la synthèse de mois d’échanges avec une boîte de production renommée, La Vingt-Cinquième Heure – vous les connaissez, sans le savoir peut-être, ils ont réalisé l’étonnant documentaire “16 Levers de Soleil” désormais célèbre et consacré à l’astronaute Thomas Pesquet. Je comprends la logique que les collègues de cette entreprise appliquent et les arguments, à suivre plus bas, en vertu desquels ils ont abandonné l’idée de collaborer avec moi (après une année d’échange au cours de laquelle j’ai refait une 3ème version du film pour eux, mais qui finalement m’a bien servi et m’a fait progresser, c’est indéniable, donc je reste content et reconnaissant pour ces échanges !) – d’un point de vue intellectuel désensibilisé, je les comprends et ne les juge pas (ok, je tâche de ne pas les juger, j’essaye de toutes mes forces…).

Dans le même temps je trouve cela dommage et frustrant car je n’y trouve, dans mon propre paradigme, que des “mauvaises bonnes raisons” – peut-être, ami lecteur, m’en diras-tu plus, toi, sur ton avis ?

Et de surcroît, cela me conforte dans l’idée que la télé est un miroir déformant/rétrécissant d’une vaste réalité qu’elle nivelle par le bas (ou le petit)… mais passons, voilà les trois raisons rationnelles qui m’ont été opposées, par ordre croissant d’importance (selon moi et dans ma perception lors des échanges), à une diffusion télé de “La Marche Sans Faim“.

Sarah Juhasz, naturopathe, sophrologue, accompagnatrice jeûne et randonnée et ma compagne, qui a écrit “Ma Bible de l’alimentation végétale crue” aux éditions Leduc

Véridique. L’interview de Sarah, tournée en hiver, la montre portant une veste chaude avec un tour de capuche en “moumoute”, laquelle est évidemment synthétique – la séquence montre d’ailleurs sa boîte à pique-nique porteuse de l’inscription “The Futur Is Vegan” et je pensais naïvement qu’en 2019, l’idée du caractère exclusivement animal d’une telle parure appartenait à la préhistoire mais non, un distributeur de film peut encore s’inquiéter aujourd’hui d’une telle image et croire sincèrement qu’il s’agit d’une contradiction ou encore que cela pourra choquer un auditoire – sectaire ? C’est très ironique : je “milite” pour la cause animale depuis des années, mange végétal, traque les leviers de changement pour toujours plus respecter le vivant, et je n’avais même pas relevé, moi, cette fausse fourrure tant mon paradigme personnel exclue totalement l’idée de porter la peau d’une bête. Je me sens bien couillon !

Pour le tournage, j’ai utilisé un drone DJI Mavic Pro 1 ; moi le premier j’ai été fort déçu par le rendu de ses images, mais à l’époque cela semblait la meilleure option en terme d’encombrement – un drone pliable ultra léger et pourtant doté des réglages et fonctionnalités nécessaires à mon activité professionnelle. Il se trouve qu’au-delà de ces caractéristiques ergonomiques, la caméra du-dit drone est toute petite et les images assez pauvres. Cependant, je m’interroge : pourquoi un producteur ne peut-il pas défendre le simple fait qu’un tel film ne pouvait se faire qu’avec un équipement minimaliste ? pourquoi un producteur ne pourrait-il pas prendre fait et cause pour le réalisateur totalement indépendant, autonome, solo que je suis et passer outre le fait que porter seul sur son dos tout le matériel pour un tournage, dans un milieu aussi complexe et délicat que le grand nord canadien, pendant des semaines, implique éventuellement que la qualité technique ne sera pas toujours digne des plus grandes œuvres cinématographiques ? Pourquoi le compromis est-il inacceptable ? Pourquoi le fond du message, puissant s’il en est, documenté, étayé par des intervenants riches et variés, porté par un protagoniste hors du commun, est-il enterré sur base de la faiblesse d’une partie de la forme ? Doit-on en déduire que les œuvres esthétiquement irréprochables priment sur celles qui sont au plus près de la sincérité des faits, et qui pour ce faire doivent sacrifier à une part d’esthétisme ?

Je continue de trouver cela dommage. Je comprends très bien le raisonnement technique, je le tiens moi-même et je grince des dents à chaque fois que je vois certaines images drone, avec leurs noirs bouchés, leur contraste saturé, mais je continue de trouver la sanction dommage – et dommageable pour le public, qui peut-être passe à côté de quelque chose.

Moralité, depuis j’ai changé de drone. On ne m’y reprendra plus !

Je soupçonne que cela soit là la véritable raison.

Si j’étais Tarantino et que mes films rapportent déjà des millions, je gage qu’à l’inverse on ferait des gorges chaudes complaisantes, voire amusées, de mes excentricités tout en ouvrant le tiroir caisse bien volontiers – à une autre échelle que Tarantino, j’ai toujours admiré le succès de “Nus et culottés”, pour faire un clin d’œil aux camarades Nats et Mouts à qui on a su donner la chance d’user de leur sens de la provocation, de l’auto-dérision et d’un certain naturisme aventurier pour faire passer des messages humanistes avec humour. Je me reconnais là-dedans.

Mais voilà, je ne suis personne, et surtout pas d’un point de vue bancaire, donc il faut parier sur moi, et parier sur un garçon sincère, vrai, authentique, un garçon certes porté entre autres par son égo (comment avoir tenu 10 ans et fait plus de 16 films seuls sinon ?) mais tout autant / surtout par son idéalisme et sa candeur et qui ne cache rien et n’hésite pas à se mettre en avant – nu parfois, oui, pas souvent non plus, c’est juste que ça marque plus les esprits voilà tout… – pour faire passer des messages, c’est là un “risque” que les vendeurs de contenu n’ont pas souhaité prendre. N’est-ce pas là, encore et toujours, une forme de rejet du naturel ? Oui, je sais, le “vrai” problème dans tout ça… c’est moi, ma personnalité, mon assurance, mon égo encore lui ? oui, oui… il va falloir que j’apprenne à accepter de “vendre” mes films sans m’y investir à titre personnel ; à m’effacer devant, ou plutôt derrière, eux. J’y travaille depuis des années (regardons par exemple Mutation au sommet, 71° Solitude Nord ou encore Adaptogènes – film où j’ai réussi la prouesse de ne pas du tout apparaître !) tout en portant le passif conséquent d’autres années, nombreuses, pendant lesquelles mon propre personnage était le moteur, le vecteur, le levier, l’interface. Je transitionne, là aussi, en douceur, comme lorsque j’ai changé d’alimentation 🙂

Mais… Cela laisse songeur, n’est-ce pas ? Moi, oui. Pas vous ? Cela ne vous interroge pas sur ce que la télé vous montre ? et surtout… sur ce qu’elle ne vous montre pas ?

Je vous livre ces éléments tels que je les ai perçus ; je ne peux guère éviter ma part d’interprétation (ni ma part de contrariété, je reste humain et sensible, je serais culotté de prétendre le contraire cette rebuffade m’a beaucoup blessé à l’époque), mais je tâche de reproduire les propos qui m’ont été tenus au plus fidèle. Et vous laisse en tirer vos conclusions.

La mienne : je ne suis pas surpris que le paysage télévisuel n’évolue guère, depuis des décennies – la télévision reste à mon sens une toute petite fenêtre, très formatée, peu authentique, sur une réalité oh ! combien plus vaste. Les éléments “perturbateurs” y sont anesthésiés ; on y fournit des réponses préfabriquées, on y cultive un regard étroit et parcellaire sur le monde, on y érige la peur de ne pas convenir, de ne pas séduire, de déplaire et surtout celle de ne point vendre en dogme. Bien sûr, tout le monde n’est pas à fourrer dans le même sac, il existe, nul doute, des œuvres de télé iconoclastes, remuantes et qui et modifient réellement la conception du monde du spectateur, et dans un univers aussi figé et codifié elles sont très certainement fort difficile à défendre, aussi je ne blâme pas ces gens de télé qui tâchent avant tout d’exercer leur métier – faire du profit sans prendre de risques – et de le protéger.

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I’m a poor lonesome film-maker…

Pour finir, si après avoir lu tout cela, vous hésitez encore à regarder “La Marche Sans Faim“, que la télé boude et que le public acclame pourtant en projection-débat et en festival (j’insiste… pas tant par vœu d’auto-promotion que par souci de souligner la contradiction), voilà désormais de quoi achever de vous convaincre…

Cette œuvre a été qualifiée par des collègues du milieu du film d’aventure (pour le dire sans ambiguïté, des personnes qui exercent exactement la même activité que moi, à tous points de vue, même si peut-être depuis un peu moins longtemps) de “trip égotique” au montage “épileptique” avec des choix musicaux “déplacés” (je vous fais une synthèse, l’analyse façon “Le masque et la plume” prenait deux pages).

Si avec ça, vous n’êtes pas rongés par la curiosité, c’est que vous avez la sensibilité d’une amibe. Et toc !

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Portez-vous bien ! Éteignez votre télé, allez chercher les vérités là où elles sont contestables mais disponibles, et sans rancune… 🙂

Initialement publié le / Originally posted on 22 septembre 2020 @ 5:34 am

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