Dans le rickshaw qui nous amenait chez nos hôtes, tout à l’heure, à la faveur d’un feu rouge, on observait un Indien coiffé d’un bonnet de Père Noël qui déambulait parmi les voitures agglomérées comme autant de mouches sur – pardon our French – une merde. Faut dire, la circulation à Delhi, c’est la merde totale. 5 files de bagnoles sur une route à 3 voies, c’est la norme. A l’heure de pointe… Nous voilà dans la capitale de l’Inde et qu’est-ce qu’on nous revend aux carrefours des grandes avenues ? Noël. En bonnets, en package de jouets clinquants, en paillettes, en sucettes, tous les formats que tu veux, very cheap my friend, discount only for you, c’est Noël, en Inde aussi.
Surprenant isn’t it ? Mais what to do ?
Les Indiens mêlent allègrement l’anglais à leur langue natale, qui elle-même varie aussi fréquemment que les recettes de cuisines en France.
Alors on est là et on regarde notre bonhomme qui tente de vendre ses bonnets rouges et blancs. On se dit que finalement, l’Occident s’exporte bien – qui tenterait de vendre en France des costumes de Diwali ? Et on pense à Noël.
Pourtant l’ambiance ici est à des années lumières de ce que Noël représente pour nous : jusqu’aussi loin que remontent nos souvenirs, il s’agit de fête familiale, d’embrassades et de rigolades, de beaucoup de bonne bouffe et de montagnes de paquets cadeaux, au chaud à la maison, confortablement installé.
Resituons le contexte.
Delhi, capitale d’une nation d’un milliard 200 millions de gens. Depuis notre rickshaw, on n’a pas assez de nos mains pour compter le nombre de formes allongées le long de l’autoroute, enveloppées dans des couvertures en pièces. La plupart du temps le tissu râpé jusqu’à n’être plus qu’un parchemin ne couvre pas les 2 jambes. Ca tombe bien la plupart n’en ont plus qu’une. La lumière blafarde des lampadaires jette une aura d’opprobre sur ces dormeurs du bitume – c’est pas un problème, la moitié est certainement aveugle. Ajoutez à cela la proportion de lépreux, d’enfants de la rue qui se partagent une couverture miteuse à 3 plutôt que de rentrer à la maison où que ce soit parce qu’à la maison s’ils ne ramènent pas assez d’argent ils vont se faire tabasser, et puis les chauffeurs de rickshaw, ces petites boîtes à sardines sur 3 roues qui font office de taxi et dans lesquelles ils dorment les malheureux bougres pour ne pas se les faire voler, et vous obtenez une vision assez complète d’une grande avenue de Delhi. Le tout dans la poussière, la crasse, la puanteur mêlée d’urine et de gaz d’échappements, les bruits ininterrompus – klaxons, cris, bagarres, accidents.
Ca donne à réfléchir pas vrai ?
Non, l’Inde n’est déjà plus un pays pauvre.
Oui, le pouvoir d’achat grimpe de quelques 30 % par an.
Non, ce n’est pas seulement une poignée de magnats qui s’en met plein les poches – le peuple en profite aussi qu’on nous dit.
Mais l’Inde ça reste une claque dans ta gueule comme jamais t’en avais pris avant. C’est pas tant que la misère soit pire qu’ailleurs – au Cambodge par exemple – c’est que la misère ici elle t’assaille coefficient la seconde plus grosse population du monde. La misère ici c’est comme les BMW en Allemagne, les bouteilles de vin rouge en France, les corridas en Espagne. Ca va de soi. Tout le monde s’en fout, pourtant elle est partout. Tu marches dessus, dedans, dessous, tu la respires, tu ne peux pas la quitter des yeux. Elle te rentre dedans par tous les pores et te ressort par le gosier – à gerber de la misère. Elle noie tout. Elle est partout.
Peut-être que la dinde et la bûche glacée en prendront un goût différent.
On cherche pas à vous ruiner Noël.
On aime Noël.
Ca fait juste tout bizarre de le voir depuis le bout indien de la lorgnette.
On peut pas se résoudre à acheter son bonnet de Père Noël, au type. On sait plus quoi en penser. Un peu perdus.
Putain ce qu’on a de la chance quand même.
Delphine et Damien
Morceaux choisis
« Ah mais vous aussi vous fêtez Noël ??? »
– un Indien interloqué s’adressant à un Occidental
Initialement publié le / Originally posted on 24 décembre 2007 @ 12:19 pm